You have been there- départs, bifurcations.

by Sophie Joubert

Une exposition collective proposée par Marie Muracciole à la Galerie Marian Goodman, 79 rue du temple, 75003 Paris, jusqu’au 30 juillet.

Des œuvres de Pierre Huyghe, Annette Messager, Steve Mc Queen, David Goldblatt, pour citer les plus connus, dialoguent avec celles d’artistes plus jeunes, autour d’un thème commun. Passages d’un lieu à un autre, transformations d’une existence, métamorphoses, fin d’une histoire d’amour…chaque artiste parle à sa manière du thème du départ ou de la bifurcation en utilisant des supports différents : photographie, cartographie, installation, vidéo. L’exposition s’ouvre sur une référence à Beckett : « une route de campagne. Un arbre. Soir ». La didascalie d’En attendant Godot a inspiré à l’artiste irlandais Gerard Byrne, né en 1969, une image d’ arbre prise dans les lieux où a vécu Beckett. Rose fluorescent dans une nuit électrique : les couleurs irréelles contrastent avec la tristesse de l’arbre accidenté éclairé par des phares de voiture. Les références littéraires sont aussi présentes dans « Mailers », douze images réunies par la canadienne Moyra Davey convoquant la mémoire de Shelley, Keats et du poète Beat Gregory Corso et envoyées par la poste à une adresse romaine. Pas de narration imposée, c’est au visiteur de l’exposition de tracer des liens pour former une constellation à l’image des villes reliées par des lignes blanches dans un ciel bleu vif par l’artiste marocaine Bouchra Khalili, également auteure d’une vidéo sur l’exil : une main dessine les traces d’un long voyage sur une carte, du Bangladesh à l’île de Lampedusa tandis qu’une voix off raconte en Italien le travail clandestin pour nourrir un rêve de retour.

La première salle est principalement consacrée à la photographie : images urbaines et cinématographiques du Sud Africain David Goldblatt qui explore depuis toujours les discriminations liées à l’Apartheid. Portraits frontaux en noir et blanc de conducteurs au volant de leur voiture pris à travers le pare-brise dans les années 60 : un homme aux lunettes noires, hommage à Fellini, un couple en pleine discussion. Couleur et grand saut dans le temps en 2006 avec les fauteuils vide de la salle d’attente d’une société de crédit. Transit et chaos urbain chez l’Américian Jeff Wall avec « intersection » : un carrefour saturé de voitures avec au premier plan un carré d’herbe, survivance incongrue de la nature, deux piétons pressés chassés par la circulation et le bruit.

La géographie est l’un des fils conducteurs de cette exposition, avec notamment l’installation d’Annette Messager « l ‘ensemble des mondes ». Une multitude de petits globes terrestres prisonniers d’objets noirs : main dans un filet, ailes de Batman, chapeau de lutin, on pense à des îles sur une carte de géographie, à un jeu d’enfant, un conte de sorcière. La géographie liée à l’histoire est au cœur du travail d’Yto Barrada : chez elle, au Maroc, elle a photographié les ruines, l’abandon, un homme sur un toit regardant la mer, espoir d’un impossible départ, les clients d’un café d’aéroport rivés au sol avec vue sur les pistes. Histoire de lieux encore avec un triptyque de Pierre Huyghe « Don’t fuck the monkey, après la destruction du forum des Halles et du Zoo de Vincennes ». Deux lieux amputées de leur centre par un trou, un vide, un blanc, puis recréation par collage d’un paysage composite, rêve impossible de reloger aux Halles les singes du zoo de Vincennes.

Les vidéos occupent le sous-sol de la galerie. La plus belle et la plus déroutante est celle du britannique Steve Mc Queen, connu pour son film « Hunger » sur la vie de Bobby Sand, le leader de l’IRA. La vidéo « Prey », exposée chez Marian Goodman montre un magnétophone à bande filmé en gros plan sur un lit d’herbe soudain emporté dans les airs par un ballon qui s’allège et s’élève jusqu’à former un petit point, ultime stade avant la disparition…